Les assistants virtuels : un défi d’expérience et d’influence pour les marques.
Si vous prenez le métro, vous n’avez pas pu rater les 4×3 vantant les mérites de Google Home. Après Amazon en 2014 avec Echo, Google propose aussi son “enceinte intelligente”. Quant à Apple, son HomePod sera disponible courant 2018. Les 3 appareils ont plus ou moins les mêmes fonctionnalités mais s’inscrivent chacun dans une stratégie spécifique. Google, fidèle à son modèle publicitaire, veut rester “la porte d’entrée” d’Internet et recueillir toujours plus de data. Alexa fera tout pour faciliter vos commandes sur Amazon, renforçant ainsi son emprise sur le retail. Apple a positionné son enceinte sur l’univers de la musique avec une qualité de son optimale. À noter que, tout comme Google avec Assistant, Siri est déjà présente sur smartphone, un appareil dont ne peut se prévaloir Amazon… La course est donc lancée entre ces 3 géants. Strategy Analytics prévoit des ventes annuelles de 20 millions d’unités en 2020 contre seulement 1,8 millions d’enceintes écoulées en 2016. Les “enceintes connectées” apparaissent comme la prochaine révolution technologique majeure, comparable à celle du smartphone. Face à ce phénomène et les nombreux changements à venir, les marques seront rapidement confrontées à un double défi : un défi d’expérience — auprès des utilisateurs — tout comme un défi d’influence — face aux constructeurs.
Les assistants virtuels sont plus qu’un énième point de contact. Cette nouvelle interface, sans le touch ni la vue qui étaient jusqu’alors l’essence nos interactions digitales, appelle à un important retravail pour proposer une expérience mémorable, singulière et efficace. Pas de logo via une interface vocale ! Comme lors du passage du print au web, il ne s’agit pas de seulement “décliner” l’existant mais bien de répondre à un nouveau paradigme. Personne n’a envie que son enceinte connectée déclame une pub à l’image des spots radios actuels. Les marques doivent ainsi enrichir leur identité tant du point de vue des assets sonores, pour créer un nouveau territoire, que de la personnalité. Aujourd’hui, certes, les marques n’ont pas de contact direct avec le consommateur via les assistants virtuels — par exemple, l’utilisateur parle toujours à Alexa quand il s’adresse à Écho — mais dans le cas de Home, Google a déjà annoncé qu’il pourrait laisser la main à des parties tierces. Elles se trouveront donc engagées dans des conversations avec l’utilisateur. S’il est vrai que les marques sont aujourd’hui devenues plus conversationnelles avec les réseaux sociaux, le challenge posé par les assistants vocaux sera bien plus corsé car la réponse sera orale et instantanée. Comment s’exprime votre marque de vive voix ? Est-ce une voix féminine ou masculine ? Son débit ? Son timbre ? Quelle est sa personnalité ? A-t’elle de l’humour ? Le langage est-il familier, courant ou soutenu ? Aura-t’elle un gimmick particulier ? De la répartie ? La liste de questions est encore longue et illustre les innombrables pistes possibles pour définir une expérience pertinente et différente.
Ce défi se manifeste aussi avec la publicité. Google, mais aussi Amazon dans une certaine mesure, a un business model basé sur la pub. À terme, il y en aura donc, probablement sous plusieurs formes : sponsoring, placement produit, search payant, couponing, etc… En plus d’imaginer des contenus plus interactifs en phase avec les attentes des consommateurs et les capacités des appareils, constructeurs et marques devront surtout faire preuve de “retenue”. Ne pas tomber dans l’équivalent de la bannière pop-up, qui a le don d’excéder l’utilisateur mais qui pourtant existe toujours. Et l’impair a déjà été commis : au printemps dernier, après avoir demandé l’agenda de leur journée à leur enceinte connectée, les utilisateurs de Google Home ont eu comme suggestion d’aller voir “La Belle et la Bête” qui sortait le même jour au cinéma. Google a nié le caractère publicitaire de la recommandation mais le mal était fait et le bad buzz démarré. Verrons-nous l’émergence d’un nouvel Adblock parce que les publicitaires auront encore une fois abusé ?
Le sujet de la publicité sur les assistants virtuels nous conduit au second défi, celui de l’influence. En effet, lorsqu’un utilisateur va poser une question ou passer commande d’un produit ou service auprès de son assistant virtuel, l’enjeu pour une marque ne sera pas d’apparaître sur une page web avec une dizaine de résultats comme sur Google — ce qui reste jouable — mais d’être au mieux classé dans le top 3 (si l’assistant laisse le choix), au pire d’être la première marque référencée… Winner-takes-all ! Alors que le digital avait permis à de nombreuses marques d’être en contact direct avec leurs consommateurs, nous sommes en train de réinventer le modèle de la grande distribution et son immense pouvoir. Et ces nouvelles têtes de gondole auront indéniablement un coût financier pour les marques, sauf à être incontournable ou nommément demandée par l’utilisateur. Le péril ne vient pas que des GAFA d’ailleurs mais aussi des autres distributeurs. Monoprix, présent sur Google Home, se base sur votre historique d’achat pour choisir les marques des produits que vous désirez, ce qui crée de facto une forme de fidélité. Tant pis pour les autres marques… Prochainement, l’enseigne fera aussi des suggestions aux utilisateurs, recommandations qui seront bien sûr facturées aux marques proposées.
En plus du search payant, les marques pourront tout de même jouer sur le SEO. Pour cela, elles devront impérativement adapter leurs contenus afin de correspondre aux nouvelles formes de requêtes énoncées par les utilisateurs. Prenons l’exemple de la météo : aujourd’hui, un utilisateur lambda va taper “météo Paris” sur Google pour connaître le temps qu’il fait ; en revanche, en parlant à son enceinte connectée, il va probablement demander “Ok Google, aurai-je besoin d’un parapluie demain ?”. Ces termes précis sont d’ailleurs ceux cités dans la rubrique d’aide de Google comme phrase d’exemple pour effectuer des recherches vocales. Ce cas simple illustre l’importance d’une adaptation des contenus. Cela est aussi nécessaire car un assistant virtuel fera toujours a priori une réponse concise : ainsi, si vous demandez à Google Home qui est Steve Jobs, le logiciel va chercher la réponse sur la biographie Wikipedia et vous lit seulement la première phrase, qui ne fait absolument aucune mention d’Apple. La hiérarchie de l’information, et plus généralement la mise en forme des contenus, sera importantissime.
Enfin, la question de l’influence va se poser en termes d’écosystème. Les marques doivent-elles coopérer avec tous les constructeurs d’enceintes connectées, seulement quelques-uns ou tout simplement ne pas participer ? Et auront-elles le choix face à des GAFA toujours plus incontournables, qui n’hésitent pas à user et abuser de leur position dominante ? La coopération avec ces derniers, dans d’autres domaines, laisse parfois à désirer : Facebook modifie souvent et sans concertation les “règles” du reach, Apple excède les agences de publicité en ligne car il interdit certaines formes de tracking sur iOS 11, Amazon partage très peu de data issues de son site e-commerce avec les marques concernées ou alors les fait payer… Et justement, les enceintes connectées vont générer de précieuses données sur les utilisateurs. Collaborer avec les GAFA n’est donc jamais anodin et les résultats ne sont pas toujours ceux escomptés : par exemple, 6 mois après l’avoir annoncé en fanfare, Nike semble peu satisfait de sa présence sur Amazon… Que faire donc avec les assistants personnels intelligents ? Intégrer l’écosystème des GAFA et perdre toujours plus d’indépendance ou alors ne pas y aller au risque d’être supplanté par une autre marque ? Sachant que les assistants personnels intelligents ont un vrai potentiel d’ubiquité et ne se limiteront pas qu’aux enceintes connectées à terme : déjà présents dans les smartphones, demain ils seront probablement intégrés à d’autres objets de notre quotidien comme la voiture par exemple. Faire sans eux sera de plus en plus compliqué. Et il faudra miser sur le bon cheval. En effet, le coût de sortie pour un consommateur risque d’être élevé, particulièrement sur le plan pratique : les assistants personnels intelligents apprennent de l’utilisateur pour personnaliser au fur et à mesure les interactions. On ne change pas d’enceinte connectée comme ça ! Le choix du bon partenaire s’avère crucial.
Beaucoup de questions donc, quelques intuitions mais encore peu de réponses pour l’instant… Les assistants virtuels représentent un défi à la fois colossal et multiple pour les marques. Mais c’est également un défi passionnant : pouvoir redéfinir et améliorer tout un pan de l’expérience de l’utilisateur, avec son lot d’expérimentations et de nouveautés, est une nouvelle source d’ambition et de motivation. En plus d’être la meilleure façon de gagner en influence ?
Arthur Sotto
Planneur Stratégique – Emakina FR
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